lundi 11 août 2008


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MON ONCLE JEAN







Mon oncle Jean est un être extraordinaire, fascinant, impressionnant. Un homme que j’associe à des personnages à l’âme aventurière et trempée, hors normes, voyageurs du monde, comme Monfreid, Cousteau (les 3 se ressemblent physiquement du reste), Kessel, Loti, Victor, Piccard, Saint-Exupéry...
C’est depuis l’enfance qu’il a marqué mon imagination. Comment ne pas être impressionnée par un homme qui joue avec ses lions comme d’autres avec leurs chiens, qui chasse le buffle et le tigre, qui est alpiniste, cavalier, skieur, pilote d’avion. Son salon est décoré de ses principaux trophées de chasse. Je me remémore ses visites chez nous à Paris, certains dimanches soir d’automne, où il venait avec des cuisseaux de chevreuil ou des lièvres qu’il avait chassé, et que oh horreur, il retroussait, dépeçait et vidait le lièvre dans l’évier de la cuisine avant de le faire cuire...

Parallèlement, ce bourlingueur fut magistrat. Aujourd’hui, mon oncle a plus de 80 ans, et il n'arrête pas : il roule en moto !!!

Je souhaite évoquer qui il est, en empruntant de larges extraits de l’éloge qui fut fait de lui, lorsqu’il fut élu "Mainteneur" à l’Académie des Jeux Floraux de Toulouse en 1983, par son ami de longue date, Roger Merle.




"Adolescents, nous nous rencontrions tous les étés sur les collines de la route d’Albi, à l’ombre de nos parents et de quelques jeunes filles en fleurs dont nous étions amoureux, et qui nous le rendaient bien. Plus tard, nous nous sommes retrouvés à Hanoï, où vous commenciez votre brillante carrière de magistrat. Pour vous, ce séjour dans le crachin tonkinois et la mitraille belliqueuse équivalait à un paradis. Vous avez longuement parcouru le monde à la recherche de la perle rare, que vous avez ramenée des Isles.

Le destin vous a dépêché à la tête de la Cour d’Appel de Toulouse... Vous avez l'esprit aventureux, vous êtes un homme de réflexion aéré. Votre équilibre et votre sagesse hardie font mon admiration. Admiration, tel est bien, enchâssé dans notre amitié fraternelle, le sentiment que vous m'inspirez, et que je suis heureux de détailler ce soir.

Ceux qui vous contemplent, siégeant en majesté, sur fond de pourpre et d'hermine mouchetée, devinent-ils qui vous êtes ?

Il faut pour le comprendre vous dépouiller de vos austères lunettes et de vos pesants ornements. On découvre alors votre œil si bleu, l'esquisse de votre moustache de mousquetaire, votre démarche de montagnard, votre impatience de poulain avide de cabrioles et de verdure.




Vous avez dès votre jeune âge, harmonieusement construit votre vie sans dissocier les besoins du corps, de l'esprit et de l’âme.
Votre corps fougueux vous a poussé à des performances hors du commun. Vous êtes moniteur de la Fédération Française d'Equitation, pilote breveté d'avions de tourisme, tennisman redoutable pour vos partenaires, skieur téméraire, alpiniste, spéléologue, perceur de souterrains oubliés, chercheur de trésors enfouis sous les décombres, bûcheron, que sais-je encore ?



On pourrait aujourd'hui vous croire assagi lorsqu'on vous surprend en train de biner les salades de votre potager à la manière délicate de M. de La Quintinie, jardinier du Roi. Mais ces délassements tranquilles n’excluent pas les autres.


Je connais seulement par ouï-dire vos exploits de chasseur de fauves, vos luttes dramatiques avec des caïmans affamés, vos prouesses d’aviateur atterrissant sur l'étroit sommet d'un pic et décollant dans le vide. Mais je vous ai vu moi-même à l'œuvre en d’autres péripéties, et je peux témoigner de votre incorrigible goût du risque.

Je vous ai vu partir seul forcer le gibier dans la jungle vietnamienne hantée par le Vietminh, et revenir tranquille d'où l'on ne revient jamais, un oiseau pendu a la ceinture, étonné que l’on se fut inquiété pour vous, je vous ai vu, et j’ai tremblé, escalader en plein vent comme un cambrioleur, des murailles branlantes surplombant des précipices, alors qu’il eut été si simple d'emprunter l'escalier. Je vous ai vu en équilibre sur le toit de votre maison en train de remplacer des tuiles cassées. Je vous ai vu, bravant à découvert, les abeilles de vos ruches ; et vous m'avez récemment terrorisé en consommant sans hésitation, après m'en avoir proposé, des champignons suspects que vous aviez ramassé dans les bois. Ces poisons m'auraient tué. Ils vous ont revigoré.

Vous n'êtes donc pas, Monsieur, un compagnon de tout repos pour des promenades de santé. Vous êtes atteint, pardonnez-moi ce néologisme peu académique, d'"escaladomanie" ; et je m'interroge sur les causes de cet étrange comportement, si peu compatible avec l'immobilité hiératique des membres de la magistrature assise.

Que dirai-je enfin de votre penchant juvénile pour les facéties, farces et attrapes ? "Les copains" de Jules Romains -ce livre que vous appréciez, mais dont je n'ai jamais pu comprendre la saveur, cela ne vous surprendra pas- a laissé en vous une forte empreinte. Nos confrères doivent être prévenus : il faut prendre garde à vous, particulièrement le 1er avril, car ce jour-là vous êtes déchaîné dès les premières heures du matin, j'en sais quelque chose...

Des observateurs superficiels mettraient toutes ces singularités sur le compte d'un trop-plein d'énergie corporelle. Ils se tromperaient certainement.

Ce n'est pas dans votre corps, c'est dans votre âme que se trouve la clef de votre personnage. "Les hautes aventures sont intérieures" dit Le Maître de Santiago, auquel vous ressemblez par quelques traits d'inflexibilité morale, sans toutefois pratiquer son austérité désenchantée, puisque vous êtes un homme joyeux.

Vous rayonnez, Monsieur, voila votre secret. Vous êtes bien semblable à ce lévrier, "léger, mais fidèle", qui figure sur vos armoiries. Léger, c'est à dire affranchi de la pesanteur et fidèle à ce qu'il croit ou à ceux qu'il aime. On ne peut s'approcher de vous sans être réchauffé, stimulé par vos aspirations spirituelles qui sont grandes, par la solidité de vos convictions, par votre dévouement aux malheureux, par la gaîté communicative de votre généreuse amitié.

Vous avez su créer dans votre belle demeure de Launaguet, avec votre épouse et vos enfants, la maison du bonheur, le centre où se regroupent à toutes occasions vos frères, sœur, neveux, amis, qui viennent vous voir, parfois de très loin, car dans tous les lieux où vous avez séjourné vous avez laissé un remous d'affection.


Fabié, cet ancien monastère dont la terrasse domine la Plaine de l'Hers, c'est le foyer où vous retrouvez, après une longue errance autour du monde, vos racines languedociennes.

Puybusque, Pechbusque, Podium buscanum... le nom de votre famille paternelle évoque une éminence -encore une- sur laquelle s'établirent vos plus lointains aïeux, quelque part sur les coteaux du Lauragais. On peut suivre, parait-il, depuis le XII siècle le déploiement de cette dynastie dans ses branches aînée et cadette. Je ne me hasarderai pas dans cet exercice généalogique. Je rappellerai simplement que les Puybusque ont fourni en hommes de valeur l'armée, l'Eglise, la Justice, le négoce, sans oublier dix-sept Capitouls et quatre "Mainteneurs" des Jeux Floraux. Vous serez le cinquième.

Du côté maternel votre ascendance n'était pas moins brillante, puisque vous êtes l'arrière-petit-fils du célèbre Jacques-Pascal Virebent, architecte, dessinateur et sculpteur, dont les œuvres ornent plusieurs monuments de Toulouse.

Vos parents vous ont transmis un harmonieux composé de ce bel héritage génétique. J'ai conservé un souvenir attachant de votre mère, si bonne et si douce et de votre père, un vrai gentilhomme, d'allure, de culture et d'humour très britannique.
Tous deux seraient heureux de vous voir à cette place où nous vous accueillons ce soir.

Dans son Edit de 1773, le roi Louis XV nous recommandait d'élire des "sujets à caractère sociable, qui joignent à des mœurs douces et honnêtes des talents reconnus".

Vous êtes poète, même si vous ne versifiez pas, puisque vous êtes sensible à l'invisible et à l'indicible. Vous êtes écrivain, puisque vous rédigez des arrêts de Cour. C'est le genre de littérature le plus difficile et le plus méconnu. Il faut réussir à enfermer dans un syllogisme un confit humain, parfois pathétique, sur lequel les avocats ont projeté des lueurs contradictoires. Le grand art dans lequel vous excellez consiste à proportionner les motifs de la décision à ce qui est strictement nécessaire pour soutenir la solution adoptée, et à retrancher tout ce qui est superflu. Rien de trop, la devise des Grecs doit être celle des bons magistrats. Quelle leçon de style dont beaucoup de manieurs de plume devraient s'inspirer. Avant votre arrivée à Toulouse les gens du Palais connaissaient déjà votre manière d'écrire, car plusieurs de vos arrêts ont été publiés comme des modèles du genre.

Mais ce serait rabaisser le travail de l'arrêtiste que de le limiter à une simple forme de l'art. Cet art n'est pas un jeu. Il est l'aboutissement de la fonction juridictionnelle. La plus haute fonction dans l'Etat : "magistrature", ce mot dont l'étymologie est trop oubliée, décrit avec force la grandeur de votre mission.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que vous exercez cette charge dans sa plénitude, en très grand magistrat. Pourtant vous vous y étiez préparé de manière bien buissonnière...

Pourtant vous vous y étiez préparé de manière bien buissonnière... Ancien élève de Colo vous eussiez pu contracter au soleil d'outre-mer de nonchalantes habitudes. Dans ce "voluptueux Laos", vous n'étiez pas seulement juge, mais Roi. A Djibouti vos sujets étaient des lions autant que des hommes.




J'imagine que votre retour en Métropole, dans la ville sévère de Poitiers, a dû vous poser quelque problème d'adaptation. Il est vrai que vous étiez, depuis le début de votre carrière, magistrat jusque dans la moelle et vous l'avez prouvé en parvenant très vite aux plus hautes responsabilités.
Conseiller à Poitiers, président de la chambre d'Amiens; premier président à Reims, puis à Toulouse, en peu de temps vos qualités vous ont fait distinguer ; et si vous l'aviez accepté vous seriez conseiller à la Cour de cassation.


Vous avez préféré rester chez nous, c'est ç'est à dire chez vous, et vous avez importé à la cour de Toulouse votre manière de juger et d'administrer. Ah ! ce n'est pas facile de plaider devant vous... Il faut aller droit au but, sans ces fioritures et ces guirlandes dont les avocats du Midi aiment parer leurs causes pour mieux camper 'l'atmosphère" du procès. Vous nous avez contraints, je dois vous l'avouer, à réviser toutes nos stratégies...
Vous seriez plutôt porté, semble-t-il, vers une démarche plus proche du style "Quai de l'Horloge". L'"argument" vous touche moins que le "moyen", la musique des mots, les charmes de la dialectique ne désarment jamais votre redoutable vigilance. Et grâce à vous, nous sommes ramenés à une plus grande rigueur juridique.

Car vous êtes un homme de règle: la règle de droit, la règle de l'ordre judiciaire, la règle morale, la règle chrétienne gouvernent vos actions, et l'on vous sait gré de repousser les laxismes qui écervèlent notre société. L'admirable, c'est que vous ne soyez ni "raide comme la Justice", ni prédicant ou moralisateur. Vous réussissez sans effort à être tolérant, turbulent et aussi jeune d'esprit à 60 ans que vous l'étiez à 15 ans.

J'en ai assez dit, je pense, pour justifier le choix de nos confrères. L'Académie ne s'est pas méprise sur vos qualités exceptionnelles en vous invitant à occuper l'un de ses plus prestigieux fauteuils, celui que vient de laisser vacant son doyen, le duc de Lévis-Mirepoix. Je vous souhaite une aussi longue carrière académique celle de votre illustre prédécesseur.



Dans les bureaux de l'Académie des Jeux Floraux à Toulouse


Taillant l'allée de tilleuls ombrageant son jardin


Repeignant les volets de sa maison


Tondant la végétation du jardin


Allant à ses rendez-vous associatifs en moto



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